Bônois...
souvenez vous !
FUSILLADE DU
13 DECEMBRE 1960,
RUE SAUNIER A BONE
Déposition
de M. G. FLOIRAT, Architecte. Domicilié: Avenue Garibaldi,
Au moment de
la fusillade, mon bureau était fermé, je travaillais à mon domicile,
dans la salle à manger ouvrant sur une loggia avenue Garibaldi, au 1 er
étage.
Vers 16 heures,
j'ai entendu scander le slogan "Algérie Française" et je
suis sorti sur ma loggia.
Un groupe d'une
centaine de jeunes manifestants débouchait de
la Rue Bugeaud
, en direction du quartier de
la Colonne.
Des forces armées
étaient de faction aux abords, constituées par des isolés et de
petits groupes. Il y avait des légionnaires en béret vert.
A l'approche de la
manifestation, les forces n'ont rien fait pour se regrouper et s'opposer
au passage de la colonne qui a poursuivi librement son chemin.
Elle s'est engagée
Rue Carnot, en se bornant à scander "Algérie Française",
mais sans manifester aucune marque d'agressivité et sans menacer en
quoi que ce soit les personnes ni les magasins, tous fermés
d'ailleurs.
Environ 10 minutes
plus tard, la manifestation revenait par l'Avenue Garibaldi et débouchait
sur le carrefour de
la Colonne. Les
bérets verts, mitraillette sous le bras, ont barré la route vers la
place Marchis. La tête de la manifestation commençait à dépasser
la rue Saunier. Elle a fait demi tour, en indiquant la rue Saunier
comme point de direction et le cortège s'est engagé dans cette rue. L'émotion
provoquée par la formation du barrage a fait cesser les cris, qui se
sont arrêtés quelques instants plus
tard.
Les bérets verts, qui avaient formé le
barrage, se sont précipités vers l'entrée de la rue Saunier, pour
établir un nouveau barrage. Il ne se passait plus rien devant ma
loggia.
Quelques secondes
après, j'ai entendu plusieurs salves de mitraillette. Je suis allé au
balcon de mon appartement donnant rue Saunier. Les soldats étaient
encore en position de tir. Des victimes, morts et blessés, étaient étendues
sur le trottoir, baignant dans leur sang. Des témoins de la fusillade,
indignés, étaient descendus dans la rue et manifestaient violemment
leurs sentiments devant le massacre de ces jeunes gens, presque des
enfants, alors que d'autres, restés à leur fenêtre, criaient leur réprobation.
Je dois insister
tout particulièrement sur le caractère de cette manifestation si
durement réprimée.
A l'aller, aucun désordre,
aucune menace. Un simple défilé, ressemblant beaucoup plus à un
joyeux monôme d'étudiants qu'à une manifestation d'hostilité. Au
retour, même attitude, mais la formation du barrage émeut les manifestants.
Bien loin de faire
front, les jeunes gens prennent une autre direction. Le cri "Algérie
Française" est remplacé par
la Marseillaise. Les
légionnaires mitraillent les enfants dans le dos et c'est en chantant
la Marseillaise
et les bras en l'air, qu'ils tombent sous les balles des troupes françaises;
Rien, absolument
rien, ne nécessitait l'usage des armes. Il suffisait de le vouloir
pour disloquer la manifestation sans aucune brutalité et sans aucun
heurt.
C'est sur cet aspect de la question que
je tiens par dessus tout à renseigner
la Justice.
ATTESTATION
Je soussigné
Gaston FLOIRAT, Architecte honoraire, demeurant actuellement 11, Rue
Psichari, au Chesnay (78) et, jusqu'en 1961, 1 Avenue Garibaldi
(Palais Loucheur) à BONE,
Certifie
ce qui suit
Le Mardi 13 décembre 1960, il y avait
une certaine nervosité en ville dont je ne me souviens pas exactement
du motif,
Dans l'après-midi,
un détachement militaire, sous les ordres d'un officier, était
stationné sur la place Marchis.
Un groupe d'écoliers,
des adolescents, sortant du collège technique, s'engagea dans la rue
Saunier, en direction de la ville.
Un détachement de
militaires, sous la conduite de l'officier a alors barré la rue
Saunier, à son débouché sur l'avenue Garibaldi. Les écoliers, bloqués
dans leur marche, ont entonné
la Marseillaise
, alors qu'un autre détachement, contournant le Palais Loucheur, leur
a coupé la retraite vers leur point de départ.
Il faut bien préciser
que ces écoliers, qui revenaient de classe, ne se livraient à aucune
manifestation, ne troublaient en rien l'ordre public et n'avaient
d'autres armes que leurs cartables et leurs règles à dessin.
Les militaires ont
ouvert le feu sur eux, les mitraillant à bout portant. Plusieurs sont
tombés, d'autres ont pu se réfugier
dans
les cours intérieures du Palais Loucheur.
Les habitants,
alertés par la fusillade, ont vivement réagi. M. VERICEL, qui habitait
le rez-de-chaussée, s'est précipité vers l'officier commandant le détachement
pour l'inviter à cesser cette tuerie.
Le jeune KANDEL,
qui venait derrière ses camarades, n'a pas été pris dans la souricière.
Il s'est enfui en contournant le Palais Loucheur. Comme il arrivait vers
le milieu du square Randon, un militaire, posté à l'angle du Boulevard
Papier, avec un fusil à lunette, lui a tiré dessus et l'a tué net
d'une balle dans la tête.
Les victimes ont été évacuées par la
suite.
J'ai téléphoné
au Procureur de
la République
de Constantine, je me suis mis à sa disposition pour l'informer et le
faire informer par les témoins. Il m'a répondu qu'il était au
courant, qu'il était indigné et bien décidé à poursuivre l'affaire.
Il m'a engagé à faire une déposition écrite à
la Gendarmerie
, ce que j'ai fait.
Depuis, je n'ai eu aucun renseignement
sur la suite de cette affaire.
Je n'ai pas retrouvé
la copie de ma déposition, mais cette horrible fusillade m'a si
fortement impressionné que j'en ai gardé un souvenir extrêmement précis
et que je puis certifier que les indications ci-dessus sont
rigoureusement conformes à la réalité des faits.
Signé
: G. FLOIRAT
ENSEMBLE DECEMBRE
2004